La Haute juridiction confirme l’existence du harcèlement moral institutionnel
Dans un arrêt très attendu, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, le 21 janvier 2025, mis fin à la saga jurisprudentielle France Télécom en rendant définitive la décision de la Cour d’appel du 30 septembre 2022 reconnaissant officiellement le harcèlement moral institutionnel sur le fondement de l’article 222-33-2 du Code pénal.
A l’origine de cette affaire, des plans de restructuration de France Télécom (devenue Orange) annoncés en 2006 avec pour objectif la suppression de plusieurs milliers de postes sur trois ans. Méticuleusement orchestrés, ces plans de restructuration ont provoqué une violente vague de suicides, de tentatives de suicide et d’arrêts de travail.
Les dirigeants ont été poursuivis puis condamnés par la Cour d’appel le 30 septembre 2022 pour harcèlement moral institutionnel sur le fondement de l’article 222-33-2 du Code pénal.
Un pourvoi en cassation a alors été formé, les prévenus faisant valoir que ce type de harcèlement systémique n’avait pas été intégré par le législateur dans le champ de l’article 222-33-2 (élément légal), qu’ils ne s’étaient pas rendus coupables des faits réprimés (élément matériel) et qu’ils n’avaient pas conscience des conséquences de leur politique sur les salariés (élément intentionnel).
Le 21 janvier 2025, la Cour de cassation a confirmé la condamnation des dirigeants de France Télécom pour harcèlement moral institutionnel et a posé pour principe que « constituent des agissements entrant dans les prévisions de l’article 222-33-2 du Code pénal et pouvant caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel, les agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel ».
La Haute juridiction reconnaît ainsi que les dirigeants d’entreprise peuvent dorénavant être pénalement poursuivis pour des faits de harcèlement moral résultant, non pas de leurs relations individuelles avec leurs salariés, mais de la politique d’entreprise qu’ils ont conçue et mise en œuvre.
Dès lors, cette décision responsabilise davantage les employeurs et les expose à des risques nouveaux en cas de gestion nocive. Elle renforce ainsi la portée juridique de l’obligation de sécurité et impose aux entreprises une vigilance accrue concernant leurs politiques managériales et méthodologies employées.
Il est donc désormais souhaitable pour les dirigeants de mettre en place une politique de prévention des risques et d’intégrer une dimension humaine à chaque décision de gestion.
Cependant, les faits à l’origine de cet arrêt sont particulièrement graves et tragiques.
Il est donc difficile d’en mesurer aujourd’hui la portée et de savoir si les juges en feront une application extensive ou tenteront, au contraire, d’en limiter l’application en réservant la qualification de harcèlement moral institutionnel à des faits extrêmement alarmants.